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PIERRE NAQUIN: VERBIER SOMME L'ART POUR L’ÉCOLOGIE

 

Article par Pierre Naquin, 7 mars 2021

« Quand l’urgence se présente à chaque instant, prendre le temps de réfléchir n’est pas un luxe mais bien une nécessité. Ce qui pourrait paraître une ‘excuse’ artistique n’en est finalement pas une et de ce point de vue le contrat du Verbier Art Summit est incontestablement rempli. »

 

Un cinquième édition du Verbier Art Summit sous les contraintes du Covid. À distance et aux quatre coins du globe, artistes, directeurs de musées et penseurs réfléchissent notre monde qui brûle. Bilan.

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Jean-Paul Felly, Anneliek Sijbrandij et Tom Battin à Verbier, 2021. Photo par Melody Sky. 

 

L’art ne peut-il être qu’un commerce? Ce n’est certainement pas la vision d’Anneliek Sijbrandij à l’origine et à la tête du Verbier Art Summit, cet espace de réflexion annuel qui perçoit la création comme « pouvant jouer un plus grand rôle dans nos sociétés. » Avec Beatrix Ruf, elles mettent en place dès 2016 le format assez particulier du Verbier Art Summit. Chaque année un nouveau curateur, suggéré par celui de l’année précédente, prend les rênes du sommet et propose un thème de société qui lui tient à cœur et qui sera traité de fond en comble par l’événement. En 2020, Jessica Morgan (Dia Art Foundation) organisait son sommet autour de la question écologique avec pour thème Avide de Ressources. Philip Tinari de l’UCCA Beijing devait être le prochain directeur mais dès janvier 2020, alors que la Chine faisait déjà face à la pandémie, il fut décidé qu’il n’y aurait pas d’édition anniversaire ou même de nouveau thème pour le 5e Verbier Art Summit. À la place, fut actée la poursuite du sujet précédent Avide de Ressources et d’organiser l’événement online avec cette année trois nouvelles conférences et cinq débats sur cinq fuseaux horaires : Beijing, Verbier, New York, São Paulo et Londres.

Intense, les débats de cette édition faisaient constamment le grand écart entre responsabilité environnementale de la création contemporaine, projets d’artistes en lien avec (ou améliorant) l’environnement, et apports sociétaux de l’Art (avec un grand « A »). Souvent le parallèle entre art et science était constaté : scientifiques révélaient leur âme de créateurs, leurs imaginaires voire leur compréhension philosophique du monde, quand artistes révélaient une connaissance technique et scientifique pointue des problématiques écologiques actuelles. Si la rencontre était plaisante à constater, reste que le bilan écologique de l’anthropocène – cette ère géologique ou la planète n’est plus façonnée par les événements géologiques ou géophysiques mais bien par l’être humain – est incontestablement catastrophique.

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Djamila Ribeiro, Joan Jonas, El Ultimo Grito et Jessica Morgan au 2020 Verbier Art Summit. Photo par Alpimages.

Alerte sur l’anthropocène

La première intervention est pour la Suissesse Claudia Comte (on se souviendra de son NOW I WON devant l’entrée de la dernière édition d’Art Basel). Impliquée dans la préservation des océans, elle présente son projet des sculptures en forme de cactus installés sous l’eau, au large de la Jamaïque. En plus de l’aspect artistique, l’œuvre permet aux coraux de se reformer sur elle. Collaborant avec des scientifiques spécialistes de la conservation des écosystèmes, elle utilise principalement du bois des forêts gérées près de son village pour produire ses sculptures. Pour elle, « apprendre à utiliser le bois est une métaphore de la vie : on ne peut pas venir à bout de sa complexité, mais cela n’empêche pas de toujours vouloir aller plus loin. » Un exemple de production contemporaine à l’impact écologique direct.

 

Suit son compatriote, le chercheur Tom Battin de l’École Polytechnique de Lausanne qui – au-delà de son travail photographique sur les transitions – présente ses trouvailles quant aux micro-organismes de glaciers et de leur importance dans la régulation de tous les aspects du vivant. Son œuvre résonne avec la lente érosion des ères géologiques, désormais supplantée par les rapides transformations de la planète du fait de l’activité humaine.

 

Débats out-of-the-box

Le premier débat, dit de Beijing, rassemble les curateurs et directeurs d’institutions avec Beatrix Ruf, Philip Tinari et Daniel Birnbaum (Acute Art, Londres). Beatrix Ruf met en avant, pendant la Covid, le rôle beaucoup plus social de certaines institutions. Le Garage à Moscou a commissionné un nombre conséquent d’artistes russes et a même mis en place une cantine à destination de son personnel, des 

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Daniel Birnbaum et Douglas Coupland au 2018 Verbier Art Summit. Photo par Frederik Jacobovits.

artistes et même des habitants dans le besoin. Un projet d’ampleur et « un exercice très intéressant quand vous êtes forcés de réfléchir au-delà de vos schémas traditionnels. » Pour elle, les institutions sont à même de donner le meilleur d’elles-mêmes quand elles sont forcées de réfléchir out-of-the-box. Philip Tinari acquiesce : « Maintenant que l’on est revenu plus ou moins à la normale en Chine, je pense que l’on fait tout avec beaucoup plus d’attention ; on fait peut être 'moins' mais certainement 'mieux'. » Daniel Birnbaum insiste sur la transformation qu’apporte le numérique. « On percevait que les choses pourraient changer mais avec la Covid, elles ont changé. » La réalité virtuelle permet des expériences immersives mais – contrairement à la réalité augmentée pour laquelle un simple téléphone suffit –  elle reste difficile à distribuer. Cela tout en reconnaissant que ce n’est pas la panacée : « il ne faudrait pas croire que les choses qui se passent dans le digital n’ont pas d’impact sur l’environnement. » Et d’ajouter : « Certains ont une vision romantique de l’art et voudraient qu’il apporte de nouvelles façons de voir les choses. Sans adhérer à cette foi, je dois reconnaître la sagacité de certains plasticiens. » Construction de communautés d’artistes et de visiteurs, articulation entre local et global, remise à plat des pratiques académiques ou curatoriales… Face aux crises actuelles et à venir, les préoccupations au croisement de l’art, de l’environnement et la technologie apparaissent, plus que jamais, indissociables.

Le débat de Verbier accueillait des profils très différents avec une artiste (Claudia Comte), un scientifique (Tom Battin) et deux directrices de fondation (Hedy Graber et Madeleine Schuppli). Cette dernière assène quelques vérités déplaisantes sur le monde l’art : son obsession pour la nouveauté immédiatement périssable, son « cirque » qui veut que les mêmes personnes fassent semaine après semaine le tour de la planète pour partager foires et biennales. « La pression exercée sur les artistes pour produire toujours plus est constante, assène-t-elle. Le monde de l’art est obsédé par les nouvelles pièces, principalement pour des raisons marketing ; les galeries comme les musées veulent présenter des œuvres toujours plus récentes. Cette attitude est tout sauf durable. »Tom Battin rappelle cependant que ce n’est pas un problème propre à l’art : « C’est encore plus absurde lorsqu’il s’agit de scientifiques, spécialistes du climat qui font exactement la même chose pour des conférences sur le changement climatique. » Après un exposé chirurgical des dégâts de l’anthropocène sur notre monde, ce dernier en vient à la conclusion que la science et la recherche en savent assez. « La seule solution est de mettre un terme à notre culte de la croissance économique infinie. Il faut passer de la quantité à la qualité et de la qualité à la durabilité. »

 

Le débat de New York, encadré par Jessica Morgan (Dia Art Foundation), est celui des artistes. L’Américaine Andrea Bowers transmet bien son horreur viscérale du « green washing », qui non seulement tient du mensonge, mais se permet même le culot de faire payer plus cher aux consommateurs des produits tout aussi nocifs. Peut-être pire que de « simplement » polluer. Tandis qu’Elvira Dyangani Ose (directrice de The Showroom, Londres) souligne l’urgence d’une prise de conscience du rôle politique et social des institutions artistiques, c’est bien Carolina Caycedo, artiste d’origine colombienne, qui vole la vedette des échanges. Maîtrisant parfaitement tous les sujets écologiques, ouverte sur les cultures indigènes, mêlant l’intime et le planétaire, elle se permet d’étendre ses réflexions, tout en gardant équilibre et positivité. Impressionnant.

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Elvira Dyangani Ose au 2020 Verbier Art Summit. Photo par Alpimages. 

Repenser la politique de l’art
Le second jour de débats démarre avec une conférence de l’artiste et activiste brésilienne Naine Terena. Elle revient sur l’impact du Covid pour les communautés indigènes de son pays, et notamment la sienne, de Terena. Elle pense notamment que le déplacement online d’une grande partie de la consommation de loisirs à également rejaillit sur l’art et permettant aux petites communautés de faire entendre leurs voix. Alors qu’elle avait insisté sur le rôle politique de l’art lors de sa première intervention en 2019, elle présente cette-fois-ci l’art comme pouvant également être source de guérison et d’apaisement. Une vision résiliente de l’art et de l’écologie au cœur du sujet de l’exposition Véxoa qui présente les œuvres de 23 artistes abordant l’idée de création et conservation du monde – non seulement dans son aspect physique, mais aussi spirituel.

Alors que le débat des résidences d’artistes reste très consensuel, celui de São Paulo, modéré par Jochen Volz de la Pinacoteca locale est tout de suite beaucoup plus énergique. Point de complaisance ni de langue de bois dans la bouche de Djamila Ribeiro, militante féministe et philosophe brésilienne, qui fait tout de suite le parallèle entre exploitation de la planète et asservissement des peuples, particulièrement ceux racisés, genrés ou indigènes. Les avancées obtenues de haute lutte comme l’étendu du fossé encore à combler sont évoqués avec équilibre et argumentation. La hiérarchie des cultures y est expliquée. Naine Terena nous persuade que l’art est peut-être « un des derniers moyens de communication directe dans un monde écrasé par les 'fake news' et où il est devenu presque impossible de se faire une opinion non-polluée des propagandes et contre-propagandes des uns et des autres. » Elle ajoute : « Le corps encapsule des myriades de souvenirs, sentiments, pensées, réflexions, morales, croyances. Je ne vois pas l’art comme une fin en soi mais comme un outil qui permet de se révéler certaines parties de soi à soi-même. » 

 

La journée s'est conclue par le débat de Londres, animé par Philippe Rahm, un architecte français. Il a expliqué comment l'homme n'est plus le seul génie qui décide de tout et comment le virus et le climat ont également de plus en plus façonné notre mode de vie. Constatant que la responsabilité environnementale incombe à chacun de nous, tous les intervenants se sont mis d’accord sur le fait qu’ils devraient adopter plus de retenue dans leur comportement et sur la nécessité de recentrer la question de l’aspect politique de l’art, pour enfin mettre les mots en action.

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Philippe Rahm au Verbier Art Summit 2020. Photo par Alpimages.

 

Quand l’urgence se présente à chaque instant, prendre le temps de réfléchir n’est pas un luxe mais bien une nécessité. Ce qui pourrait paraître une « excuse » artistique n’en est finalement pas une et de ce point de vue le contrat du Verbier Art Summit est incontestablement rempli. Reste cette contradiction difficile à occulter entre des intervenants aux moyens visiblement conséquents et certains autres aux problématiques nettement plus concrètes et immédiates. Reconnaissons le courage de ne pas l’avoir occultée… comme tant n’aurait pas hésiter à le faire. Bravo !

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RÉFLEXIONS SUR LE THÈME DU VERBIER ART SUMMIT 2020 "AVIDE DE RESSOURCES" PAR JESSICA MORGAN, DIRECTRICE DE MUSÉE



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